Hommage de Marylise LEBRANCHU à Françoise OLIVIER-COUPEAU Lorient, le 9 mai 2011

Publié le par Francoise Olivier-Coupeau

Tu savais depuis longtemps qu’il n’y avait pas égalité des armes entre toi et ce cancer unique. Pourtant que de belles luttes gagnées, que de rémissions joyeuses, que d’attentes de ces molécules incertaines qui pouvaient encore faire vie.

Que nous aimions alors ton rire, que nous aimions alors ta volonté d’en découdre, de gagner, de militer…

Tu nous as donné tant de ton étonnement incrédule, un sourire éclatant d’une victoire électorale qui balayait la crainte d’une défaite de vie.

 Il fallait agir, tenir, râler parfois lorsque certains ne comprenaient pas la richesse du collectif, le bonheur de se fondre dans un groupe, actif, créatif plutôt que de vouloir toujours briller un peu plus, exister en dehors, être singulier, singulier plaisir que celui d’être seul même en haut de l’affiche…

Tu n'as pas tout aimé de ce monde politique, tu aurais voulu plus de militantisme, plus de travail que d'espoir de poste, tu as détesté les plans de carrières, tu ne t'es fait aucune illusion sur la tienne.

Mais quelle leçon donnée, et j'espère reçue, que cette humilité triomphante après une magnifique campagne qui faisait chanter les idées, dérouler des perspectives, écrire les mots du vivre autrement.

Pas faussement modeste mais terriblement lucide, tu savais mieux que d'autres que réussir c'est s'acharner et que les hommes et femmes providentielles n'existent pas, qu'il s'agisse de circonstances ou de chances, mais que les vernis s'usent vite et qu'il faut donc enrichir le bois.

Quel plaisir avais-tu à moquer l’orgueil, comme tu trouvais petits ceux qui se voyaient si grands.

Tu nous manques ma grande ! Tu nous manques colonel ! Nous manqueront même ces anxiétés soudaines, ces regards vers Valérie pour savoir le pourquoi d’une absence. Combien de fois tu nous as rassurés, et tu revenais plus pâle, anxieuse de ne pas faire ton travail, heureuse d’une intervention réussie, en colère d’une mauvaise séance ou joyeuse d’une autre plus incisive …

Tu étais fière d’être là, de pouvoir agir pour les autres, et nous interdisait ces moments de découragement.

Il y a peu, je t’ai demandé ce qui te ferait plaisir et tu as répondu « soyez bons », la séquence du projet m’a fait chaud au cœur.

Je sais les heures trop longues. J’ai souvenir des épuisements, des mots qui ne veulent plus faire sens, des fatigues extrêmes qui font découragements, les longs échanges sur la vie et la mort qui faisaient comme un rempart de vie pour reculer la fin improbable.

Les passagers du train le dernier dimanche font comme bouclier au tour de ton image, celle que tu n'aimais pas, un corps devenu trop mince qui laisse passer en impudeur des envies de vivre sans souffrance ou de lâcher prise.

Lâcher prise, tu l'as décidé après les 2o ans de Philippe, mais c'est un choix tellement  contraint, choix d'épuisement, mais choix quand même, tu voulais pouvoir décider et tu as obtenu cet ultime cadeau après avoir tenté de résister encore, à la douleur, compagne têtue des années de bagarre.

Résister pour eux d'abord, que ta maladie a privés d'années de vie calme, qui ont renoncé trop tôt à l'écume des choses mais à qui tu veux laisser le droit de rire encore, quand le temps adoucira la peine, quand le souvenir se teintera de ta jeunesse, de tes rires et de tes colères, des mains tendues, des exigences.

 Ils ont grandi ces garçons de toi, et tu es soulagée de leur avoir permis de le faire, malgré tout, parce que députée, tu pouvais compenser le doute permanent du nombre de tes jours par la si grande richesse d'une vie de militante élue.

Et puis, il est solide aussi, ce compagnon des éclats de rire comme des larmes ravalées, ou des fugaces instants de désespoir.

 Et puis, il sert l'Etat et tu aimes sa fonction qui doit lui permettre, crois-tu très fort, d'avaler le chagrin, d'en faire un béton de vie, une chape de toi, mais avec une ouverture aux autres, une chape douce de toi et des années partagées, portant tes blessures surmontées de grande sœur qui protège. Ils sont parents mais brisés aussi, ceux à qui tu as donné à la fois la fierté de ta force et le chagrin de ta faiblesse imposée, parents impuissants, qui regarderont une fois encore la vie autrement, mais toujours avec toi, moins souffrante, plus joyeuse, exigeante, belle, qui les avaient aidé à supporter l'insupportable. Et tu porteras toujours aussi, sans qu'il le sache, ce frère qui reste seul et doit vivre pour trois.

L'héroïsme de ta maman ne nous a pas surpris, te regarder vivre avec ce cancer résistant nous avait appris qu'une force peu commune, sans doute partagée, te permettait cette exceptionnelle attitude de détachement personnel et de demande de tout,  sauf de pitié. Comme il a été difficile pour toi, et doux à la fois, de retrouver les mains attentives d'une maman qui s'épuise sans le savoir, comme toujours, auprès de sa fille enfant malade, et à l’ombre du père.

Le dernier dimanche, je t'ai retrouvée si grande, cherchant de l'air pour partager de la vie, des souvenirs juste effleurés, et l'ordre de lutter contre l'extrême droite. Tu as murmuré en souriant  le « tu es toujours mal coiffée », rappelant nos échanges sur la com., ton métier, qui te faisait dire, quand m’écouteront-ils ? Quand sauront-ils enfin qu'il n'est plus là le temps des égos et des carrières, que les citoyens demandent autre chose qu'un nom ou une belle gueule dans un média. Ils demandent du Collectif, de l'Unité, des Valeurs et qu'à force de leur vendre des égos, des visages, et des envies, ces citoyens jetteront leur dévolue sur la haine.

Comme tu as aimé la solidarité vraie retrouvée, celle que tu incarnais et nous avons - je n'oublierai pas - parlé des gendarmes, ce qui fut une passion politique comme l’a justement rappelé Martine : reconnaître leurs fonctions de gens d'armes dans une société déchirée en ces frontières et au dehors. Le choc que tu as reçu en Afghanistan t'avait impressionnée, être restée en campement c'était, cela te semblait t-il, une chance unique, celle de ne pas craindre de mourir là, puisque la perspective de mourir était ton quotidien.

Quelle leçon que ce vivre chaque jour comme un cadeau,  tu riais de nos futilités, personne à Paris n'a eu à souffrir d'une once de demande de compassion.

Tu aurais voulu tout donner et ne rien prendre, tu partageais ce que nous avions dit avec Jacqueline : la dureté de subir une double peine celle d'être malade à en mourir et de provoquer le chagrin chez ses proches, de leur donner à eux qui n'ont rien fait pour mériter cela, de la peine et encore de la peine. Ils savent aujourd’hui, ceux que tu laisses, abattus, brisés, déchirés de toi, que ce que tu leur laisses est joyeux, déterminé, volontaire, et que cela les empêchera d'être désespérés. Nous leur disons notre fierté de t'avoir rencontrée, d’avoir pu échanger avec toi sur la vie et la mort, le chagrin et la pitié, la foi et l'absence de foi, ces longues heures de réflexion partagées qui font grandir un peu.

Ton regard dimanche toujours si clair restait plus fixe, le temps ne comptait  déjà plus, les mots devenaient rares, l’impuissance était là. « C'est étrange de mourir » as tu dis... nous ne voulions pas de cette étrangeté là Françoise, nous voulions que tu restes, qu'il y ait un miracle pour ceux que tu aimais tant, et pour tous ceux qui t’avaient fait confiance. Tu croyais à la vie, as tu dis à Hervé,  mais décidément la maladie qui fait souffrir est tellement injuste et violente que la mort fait soulagement et aide ceux qui restent.

Alors brassons les souvenirs pour te garder riante, moque toi encore de nous Françoise, ressasse ton humilité, tu nous as fait meilleurs et si nous sommes là ce jour, c’est parce que nous sommes fiers d’avoir été des collègues, des copains, des amis.

Merci Françoise…

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